À chaque année, des millions de personnes à travers le monde subissent un accident vasculaire cérébral (AVC), c’est-à-dire l’interruption subite de l’apport en sang vers le cerveau causant la perte de neurones et de connexions (Cœur et AVC Canada, 2022 : https://www.coeuretavc.ca/avc). La réadaptation physique vise à retrouver un contrôle suffisant sur les muscles atteints pour recommencer à faire ses tâches et activités préférées.
Qu’arrive-t-il si le cerveau a perdu la capacité à ressentir les membres atteints ? Les problèmes sensoriels, et particulièrement ceux qui atteignent la proprioception (capacité à ressentir les mouvements), affectent plus de 50% des personnes ayant subi un AVC et limitent grandement la guérison (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18678576/).
Des travaux de recherche ont récemment étudié les effets d’une nouvelle approche de traitement qui serait capable d’agir spécifiquement sur les atteintes de proprioception. La vibration tendineuse est un outil simple et sécuritaire permettant de faire réagir des récepteurs proprioceptifs situés dans les muscles, c’est-à-dire les fuseaux neuromusculaires. Malgré des effets prometteurs, les preuves scientifiques sont jusqu’à maintenant limitées tant par la quantité que la qualité des études publiées. De plus, nous ne savons pas encore comment la vibration tendineuse interagit avec le cerveau, et particulièrement avec les régions du cerveau impliquées dans le contrôle du mouvement.
Une récente étude dirigée par Mme Lydiane Lauzier, étudiante au doctorat du Lab BioNR sous la direction du Pr Louis-David Beaulieu (UQAC) et des Prs Jacques Abboud et François Nougarou (UQTR), s’est intéressée à mieux comprendre les mécanismes qui peuvent expliquer les effets de la vibration sur la région motrice du cerveau (cortex moteur). Les résultats ont été publiés en novembre 2023 dans The Journal of Neurophysiology 10.1152/jn.00069.2023. Les prochaines sections présentent les connaissances et résultats les plus intéressants de cette étude originale.
La vibration tendineuse
En l’absence de vision (par exemple, avec les yeux fermés), l’application d’une vibration au niveau d’un tendon se transmet directement au muscle et active de manière puissante ses fuseaux neuromusculaires (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/6214420/). L’un des rôles des fuseaux neuromusculaires est d’informer le cerveau lorsque le muscle se fait étirer, offrant ainsi des informations précieuses pour connaitre à tout moment où se trouvent nos membres dans l’espace (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25674059/). Si les voies de dialogues entre le cerveau et les muscles sont fonctionnelles et efficaces, les informations sensorielles produites par la vibration des tendons sont interprétées comme un étirement du muscle vibré, créant ainsi une illusion de mouvement. L’illusion de mouvement se ressent donc par la personne comme un vrai mouvement allant dans la direction qui aurait étiré le muscle vibré, même si l’articulation demeure immobile. Ressentir ou non une illusion de mouvement peut fournir des informations importantes sur la connectivité muscle-cerveau, qui peut être altérée en présence de maladies ou blessures neurologiques comme l’AVC (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25674059/). Certaines études ont aussi démontré un potentiel intéressant de cette approche comme outils de réadaptation des troubles de la proprioception et du mouvement (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28694858/). Cependant, les mécanismes neurophysiologiques derrière les illusions induites par la vibration demeurent incompris.
Objectifs de l’étude
Le but de l’étude était d’étudier si l’illusion de mouvement induite par la vibration tendineuse influence l’excitabilité corticospinale, ou en d’autres termes, si la vibration peut agir sur l’activité des neurones du cortex moteur et de leur connexion avec les muscles (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22349304/). Notre hypothèse était que l’illusion de mouvement allait globalement augmenter l’excitabilité corticospinale, étant donné que la proprioception sert surtout à favoriser (plutôt que bloquer) le contrôle des mouvements.
Méthodes utilisées
La vibration a été appliquée sur les tendons du poignet dans le but d’induire une sensation d’extension. Les stimulations vibratoires duraient 10 secondes, durant lesquelles nous avons testé l’excitabilité corticospinale à différents moments après le début de la vibration (1ère seconde, 5e seconde et 10e seconde). Des mesures de base ont également été prises sans aucune vibration donc sans illusion. Pour ce faire, nous avons utilisé la stimulation magnétique transcrânienne (SMT), un outil de mesure neurophysiologique bien connu permettant d’activer les neurones du cortex moteur par le biais d’une bobine de stimulation magnétique appliquée sur le crâne (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25797650/). La SMT permet d’induire des contractions dans les muscles étudiés (les extenseurs du poignet dans notre cas), et ces contractions sont mesurées précisément avec des électrodes de surface. Si les illusions de mouvement augmentent l’activité des neurones du cortex moteur tel que nous l’anticipons, alors les signaux mesurés par la SMT devraient augmenter pendant l’illusion.
Résultats principaux et interprétation
Les résultats ont montré que l’excitabilité corticospinale changeait pendant la période de vibration. On trouve une excitabilité corticospinale plus basse à la 1ère seconde par rapport à la 5e et la 10e seconde après le début de vibration. Toutefois, comme aucune de ces mesures n’est ressortie comme suffisamment changée pour se distinguer de la mesure de base obtenue sans illusion (voir graphique), il est demeure difficile d’interpréter les résultats et d’identifier quels sont les mécanismes neurophysiologiques impliqués. Notre étude met néanmoins en lumière l’importance de poursuivre ce type de recherches avant de considérer une utilisation clinique, car tout traitement devrait être supporté par des preuves scientifiques robustes et des mécanismes explicatifs bien compris.
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Futures perspectives
Il est connu que l’illusion de mouvement induites par la vibration prend parfois quelques secondes à être ressentie par la personne (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20024695/). Peut-être que la variation observée dans notre projet (excitabilité corticospinale plus faible à la 1ère versus 5e-10e secondes) pourrait être expliquée par l’émergence de l’illusion survenant après la 1ère seconde, et augmentant ensuite en clarté et en force entre la 5e et 10e secondes ? Peut-être que la durée de vibration de 10 secondes n’est pas assez longue pour laisser le temps à l’illusion et aux effets neurophysiologiques à se renforcir ? Ces questions feront certainement l’objet de nouvelles études dans notre équipe.