Le LaboNFC à l’ACFAS – 2 sur 2

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Après des analyses par secteurs, par domaines ou par pratiques, très spécifiques, une réflexion plus fondamentale a été effectuée sur les aspects théoriques sous-tendant les reconfigurations de l’échange ainsi que leurs impact sur la persistance du néolibéralisme.

Les développements théoriques liés aux reconfigurations de l’échange et de la consommation

Theorie-Praxis

On rapporte souvent que les nouvelles formes d’échange, si elles existent et qu’elles prospèrent, c’est parce qu’elles créent plus de valeur pour ses usagers. Mais de quel type de valeur au juste? Et comment mesure-t-on celle-ci? Le professeur Patrick Gabriel (Université de Bretagne Occidentale), directeur du Laboratoire d’Économie et de Gestion de l’Ouest (LEGO), axe la réflexion sur ce concept assez élusif de la valeur. Si une certaine confusion existe autour de ce terme, ce serait parce qu’il n’y a pas une valeur mais plusieurs types de valeur créés lors d’un échange marchand (la valeur d’échange, la valeur expérientielle et la valeur en usage). De plus, ces types de valeur sont liés au cours de l’échange et sont différés dans le temps, dans le sens où elles apparaissent ou disparaissent, se maintiennent ou s’effacent, et ce, au-delà de l’instant d’échange pur. En somme, quand on réfléchit plus intensément sur ces notions de valeur, on peut se questionner sur la possibilité de les mesurer concrètement. On peut aussi s’interroger sur le point d’ancrage de l’analyse: doit-on s’intéresser à l’échange (moment d’interaction) ou au processus (la série d’échanges liés conduisant à une finalité ou un usage)? La notion de « parcours de valeurs » serait une piste de réponse à ces questionnement. Pour en savoir davantage : Cliquer ici.

Julien Bousquet (UQAC), membre du LaboNFC, et ses collègues, nous proposent une analyse historique d’un phénomène de consommation assez inédit, le pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle. Les auteurs élaborent sur les notions de sacré et de profane, deux termes généralement opposés mais qui historiquement et conceptuellement sont liés, particulièrement dans le domaine de l’échange marchand. Le pèlerinage en est un exemple frappant. Si le pèlerinage est avant tout de l’ordre du sacré, il génère aussi des ressources colossales par les échanges marchands qu’il génère. Pensons au pèlerinage à la Mecque ou à St-Jacques de Compostelle. Si sacré et profane sont clairement inter-reliés, l’analyse historique a permis de faire ressortir plus finement 3 nuances de cette inter-relation:

1. Séparation: Au Moyen-Âge, la dichotomie est la plus vivace avec une séparation claire entre les deux.

2. Enchâssement: Lors de la Renaissance, il a un enchâssement des deux, et le marché est accolé au religieux de manière moins complexée.

3. Hybridation: L’ère postmoderne signe une hybridation entre une sacralité qui est de fait marchande car vidée de sa substance spirituelle primordiale, notamment par le biais de la sécularisation de la société, et une consommation marchande à l’origine profane mais qui se sacralise de plus en plus (ex. iconicité de la mode, idoles du divertissement, fanatisme sportif).

Pour en savoir plus: Cliquer ici. En définitive, hybridation sacré-profane de l’ère actuelle (dite postmoderne) rejoint l’idée d’une quête de sens nécessaire aux individus. Sans se situer dans le dogme et les valeurs du religieux, autrefois pourvoyeur de sens absolu et de transcendance, l’individu recherche ce sens dans de multiples aspects de sa vie. Dans le postmodernisme, la consommation est l’aspect central du projet de vie individuel et cimente la société. La recherche de sens s’effectue donc de manière privilégiée dans l’échange marchand. Le consommer juste, bon et bien, hybridation originale postmoderne, remplace le consommer tout court, d’une part ou le croire tout court, d’autre part.

La reconfiguration de l’échange et la remise en cause potentielle du modèle néolibéral

(c) Faujour

(c) Faujour

En prolongement à la réflexion théorique entourant l’échange marchand, une réflexion synthétique s’imposait. Présentée par le professeur Éric Rémy (Université de Rouen), celle-ci portait sur la probabilité que toutes ces formes d’échange nouvelles allaient ultimement amener à une remise en cause du modèle néolibéral. S’il est difficile de définir clairement le terme « néolibéral », il n’en demeure pas moins que ce concept a une résonne souvent négative car associé à la mondialisation débridée, à l’hyperconsommation (Lipovetsky, 2003), au capitalisme financier avide et aux méfaits économico-sociaux qui y sont rattachés. Le professeur Rémy réutilise la pensée des grands auteurs français tels que Mauss, Durkheim ou Bourdieu afin de nous éclairer sur la situation actuel et ses trajectoires d’évolution possibles pour le futur. Ainsi, le néolibéralisme ne serait pas réellement en danger face à l’émergence de nouvelles formes de consommation. À l’instar du capitalisme, qu’il porte en lui, il ne ferait que se réajuster aux nouvelles normes et systèmes d’échange:

tu veux du vert et de la consommation verte, je vais te donner des produits écologiques et verts et tu pourras les acheter, les consommer puis les recycler!

Cette capacité d’adaptation fait écho à plusieurs modalités d’échange nouvelles évoquées lors du colloque: la taxonomie des modèles d’affaire qui étendent la durée de vie des produits (ex. produits reconditionnés), les formes de valeurs en échange (ex. Patagonia et la valeur en fin de cycle du produit), la consommation de produits alimentaires biologiques ou locaux (ex. labels bios, appellations d’origine contrôlée), la consommation de religieux (ex. le pélerinage musulman ou catholique), ou la capitalisation des plateformes collaboratives (ex. Uber vaut 62,5 milliards USD vs. General Motors vaut 52,3 milliards USD). On peut également voir ceci dans l’assimilation progressive de la blockchain et des cryptomonnaies, à l’origine décentralisés et pairs-à-pairs, par les grandes organisations financières afin les centraliser et d’y exercer un contrôle.

La question ne serait donc pas dans quelle mesure les nouvelles formes d’échange remettraient en cause le modèle néo-libéral mais plutôt : comment le néolibéralisme persiste-t-il au travers de ces nouvelles formes d’échange marchand? Des réflexions plus critiques s’axeraient sur l’aspect désirable ou normatif de cette subsistance.